SUR le globe terrestre, les océans couvrent 350 millions de kilomètres carrés ; la terre n’en occupe que 150 millions... Voyez d’ailleurs une mappemonde ou un planisphère : les continents y apparaissent comme des îles dans l’immensité liquide. Îles colossales, d’accord, mais l’élément qui domine de très loin, qui envahit littéralement le panorama de notre planète, c’est l’eau ! Aussi n’existait-il (avant l’invention de l’avion) qu’un seul moyen de se rendre d’un continent à l’autre : le bateau. La mer, pourtant, effrayait les hommes primitifs. D’anciennes légendes nous disent que les premiers humains qui se risquèrent sur les flots le firent sous l’empire de la nécessité, pour échapper à un ennemi, au feu, aux bêtes féroces. Et quand il y eut des navigateurs, affrontant l’océan de leur plein gré, ces audacieux mirent encore des siècles avant d’oser s’éloigner des côtes. Car les Anciens croyaient que la Terre était plate et qu’au bout de l’horizon les vagues se déversaient dans le ciel ; et ces braves gens, si braves fussent-ils, n’avaient pas envie de faire le grand plongeon !... Après les premiers marins vinrent les premières marines. Elles se développèrent sur les rives des mers intérieures et des mers fermées comme la Méditerranée, laquelle fut le berceau des flottes égyptienne, phénicienne, grecque et romaine. Des siècles durant, c’est la pagaie qui servit à faire avancer le bateau. Jusqu’au jour où un inventeur aussi génial qu’inconnu, comme celui de la roue eut l’idée d’un levier bien plus puissant : l’aviron. Puis, à ce dernier succéda la voile, qui utilise la force encore plus considérable (et gratuite, en outre) du vent. En même temps que le navire lui-même, la science de la navigation évoluait. Petit à petit se constitua une somme de connaissances qui permit aux marins de s’aventurer toujours plus avant, à l’assaut des immenses étendues liquides, au-delà des pointes de terre représentant, pour les Anciens, les limites mêmes du monde : Finisterre. Les navigateurs de l’Antiquité, quand ils eurent exploré la Méditerranée en tous sens, s’élancèrent sur l’Océan ; ils parcoururent des distances à peine croyables, vu les possibilités limitées des petits navires de ce temps ; leurs expéditions, toutefois, se faisaient toujours le long des côtes. Plus intrépides encore furent les marins nordiques, les fameux Vikings. À partir du Moyen âge, la technique de la navigation et de la construction navale progresse lentement. Une importante innovation, cependant : les lourds avirons qui servaient à gouverner le navire furent remplacés par le gouvernail appelé « à la navarraise » qui, placé dans l’axe du bateau, était plus maniable et plus solide. Ce fut aussi l’époque de l’apparition du canon sur la mer : l’aspect du navire de guerre allait s’en trouver transformé pour plusieurs siècles, jusqu’à la fin de la marine à voile. La place occupée sur les flancs du navire par les avirons fut cédée aux canons, d’où abandon du système de propulsion humaine au profit de la voile. Vinrent les Croisades ; elles fournirent la preuve que le navire était le moyen le plus rapide et le plus sûr de voyager, en un temps où n’existaient que routes incommodes, dangereuses et pistes caravanières semées d’embûches de toutes sortes. Un vaisseau engouffrait sans peine dans ses flancs la charge d’une centaine de chameaux. Le transport des Croisés jusqu’aux Lieux Saints fut assuré en grande partie par la flotte de Venise, pour qui l’occasion fut belle d’acquérir de la sorte une fortune énorme, origine de sa suprématie de plusieurs siècles en Méditerranée. La grande époque de la Renaissance fut celle d’un essor inouï dans tous les domaines. La puissance maritime se déplaça : elle passa de la Méditerranée à l’Atlantique, où l’Espagne et le Portugal prirent la tête d’un mouvement naval d’une extraordinaire ampleur qui allait lancer de hardis navigateurs sur toutes les mers, à travers tous les océans, à la découverte de terres nouvelles. À mesure que les caravelles tissaient le réseau des routes océanes, les vieilles superstitions cessaient de paralyser les hommes crédules : on osa franchir l’Équateur sans craindre de périr ébouillanté dans les mers tropicales ! Et, passé la fameuse ligne, on osa perdre de vue l’Étoile Polaire, puisqu’on pouvait se guider sur sa remplaçante : la Croix du Sud. Vasco de Gama découvre la route des Indes par le Cap de Bonne-Espérance. Christophe Colomb atteint l’Amérique et ouvre la voie à Magellan qui, en accomplissant le premier tour du monde, fait la démonstration éclatante de la rotondité de la Terre, déjà attestée par quelques savants clairvoyants. Sous l’égide de l’Infant de Portugal, Henri le Navigateur, art et science de la navigation progressent à grands pas : non seulement les navires abordent des rivages nouveaux, mais ils sont capables d’y revenir à travers des milliers de lieues d’océan. Solides, bien construites, montées par des marins qu’on a nommés « des hommes de fer sur des vaisseaux de bois », les caravelles furent les meilleures auxiliaires des « découvreurs » : car elles résistaient aux tempêtes qui se levaient devant eux comme pour leur barrer l’accès du monde inconnu. Monde regorgeant de richesses fabuleuses, dont l’Espagne fut la première à s’emparer. Mais ses galions chargés de l’or des Amériques excitaient vous pensez bien la convoitise d’autrui. Les flottes espagnoles furent attaquées sans cesse par corsaires et pirates ; les Pays-Bas secouèrent le joug et bientôt ravirent à leur oppresseur vaincu la maîtrise de la mer. Au XVIIe siècle, les marines nationales se développèrent. La France, l’Angleterre, la Hollande armèrent de puissantes escadres qui s’entrechoquèrent dans des guerres ininterrompues. La fin du siècle vit la suprématie navale des Hollandais décliner à son tour, dans le même temps que s’affirmait celle du pavillon anglais. C’est le début de l’Empire britannique... et la fin du présent album. Car la suite de l’histoire ou plutôt, de l’Histoire vous sera contée dans le prochain album consacré à la Marine. |