1805. Le Redoutable (France)

 

ON sait que NAPOLÉON, projetant d’envahir l’Angleterre, avait constitué à Boulogne, face aux côtes anglaises, une immense flottille qui devait transporter la Grande Armée de l’autre côté de la Manche. Mais l’Empereur abandonna ce projet. Il avait conscience d’une double faiblesse : celle de sa flotte (seuls, cinquante vaisseaux français pouvaient appuyer les deux mille bâtiments de la flottille de débarquement, tandis que les Anglais disposaient, eux, de cent quatre-vingt-dix vaisseaux) ; celle du commandement, auquel manquait cruellement un homme de la trempe de SUFFREN pour lutter contre NELSON. Mais le célèbre bailli n’avait pas eu de successeur digne de lui ; la Révolution était passée par là, désorganisant la marine française. L’entrée en guerre de l’Espagne comme alliée de la France incita NAPOLÉON à reprendre, en le modifiant, le plan délaissé. La flotte alliée entraînerait les forces anglaises jusqu’aux Antilles ; ensuite, elle effectuerait un retour en force vers l’entrée de la Manche ; et là elle protégerait le passage de la flottille massée à Boulogne. Ce plan, l’Empereur en confia l’exécution à l’amiral VILLENEUVE, bon marin, courageux, mais dépourvu de génie. Les événements, en fait, ne se déroulèrent pas comme NAPOLÉON l’avait prévu. VILLENEUVE, à bord du navire amiral le Bucentaure de 80 canons, avec le Redoutable de 74 canons, et les trente-trois autres vaisseaux de ligne de l’escadre franco-espagnole, ne put, au retour des Antilles, que se réfugier à Cadix : sur les vaisseaux à court de vivre et d’eau, on comptait déjà plus de 1200 malades, et une dizaine d’entre eux, au dire des Anglais, n’étaient rien de plus que des casernes flottantes. Quand l’Empereur, qui entre-temps avait levé le camp de Boulogne, apprit cela, il en conçut une vive irritation et ordonna à VILLENEUVE de se rendre en Méditerranée, faute de quoi son commandement lui serait retiré. C’est ainsi que contraint et forcé, VILLENEUVE appareilla le 18 octobre 1805. Il allait au-devant d’un mémorable désastre.