1829. Le Suffren (France)

 

C’EST aussi à cette époque que l’on vit se modifier la silhouette traditionnelle des derniers vaisseaux à voile. Jusqu’alors, et dans toutes les marines, les navires avaient des formes rentrantes. Cette rentrée présentait un certain nombre d’inconvénients, notamment celui de diminuer la largeur des ponts et des batteries supérieures, ce qui réduisait la place disponible pour la man’uvre des voiles et des canons. Autour des années 1820, une tendance s’affirma dans les milieux navals en faveur des murailles droites. Ce fut, en fait, une véritable polémique qui opposa le lieutenant de vaisseau Gicquel des Touches à l’ingénieur Tupinier, alors directeur des ports et arsenaux. En plus des arguments techniques, des Touches affirmait curieusement que la rentrée de la coque était un expédient inventé par les Anglais pour parer à leur infériorité face aux Français dans les combats d’abordage, créant entre les vaisseaux un fossé infranchissable. Une première frégate sans rentrée ni bouteilles, la Jeanne d’Arc, fut construite suivant ce principe nouveau, et à sa suite toute une flotte de vaisseaux de haut bord, plus grands et plus puissants que leurs prédécesseurs, tel le Suffren représenté ici : lancé à Cherbourg en 1829, il avait 90 canons, 60,27 m de long, 16,28 m de large, et des murailles droites, ce qui veut dire qu’il était aussi large au pont qu’à la flottaison. On prit alors conscience que ce système n’avait pas que des avantages. Les navires à murailles droites avaient une stabilité médiocre, fatiguaient sous le poids des canons, et leurs ponts prenaient bientôt une inquiétante forme d’arc. L’artillerie, par contre, disposait de plus de place grâce à l’élargissement du pont supérieur, dont l’ampleur leur permettait en outre de donner aux haubans un plus grand épatement ; d’où une meilleure tenue de la mâture. Dans cette mâture, observons un instant le beaupré. Lui qui, au XVIIe siècle, était au ras de l’eau, le voici maintenant relevé au niveau du pont supérieur. Il terminait ainsi une lente ascension, coïncidant avec l’inexorable déclin des voiliers.