1845. Baleinier (États-Unis)

 

GRANDS ou petits, les ports gardaient, en ce milieu du XIXe siècle, leur aspect d’autrefois. Ils apparaissaient toujours comme de véritables forêts de mâts. C’était bien la preuve que, malgré tout, le charbon n’avait pas tué la voile. Parmi les voiliers, une place doit être faite ici aux baleiniers. Sur aucun autre navire l’on ne formait de meilleurs marins, car, à la lutte commune contre la mer s’ajoutaient, pour ces hommes-là, les dangers de la chasse à la baleine. Les navires baleiniers étaient généralement gréés en trois-mâts barque ou en trois-mâts carrés et portaient environ six ou sept baleinières. Chacune de ces petites embarcations, marchant à la voile et à l’aviron, était armée par six hommes, dont un harponneur, qui se lançaient à la poursuite des baleines dès que la vigie, du haut du grand mât, signalait leur présence. Avec quelle facilité les énormes mammifères envoyaient par le fond ces frêles embarcations d’où ils étaient harponnés presque à bout portant  Dès que la baleine était piquée, elle plongeait et entraînait à une profondeur et une vitesse vertigineuse la ligne attachée au harpon. Il fallait sans cesse arroser cette ligne, de peur qu’elle ne prenne feu sous l’effet du frottement. Parfois les petites baleinières se perdaient, les cétacés furieux les ayant remorquées à trop grande distance du navire. Quand enfin l’on pouvait s’approcher de l’animal épuisé, on l’achevait à coups de lances. Puis on le ramenait près du baleinier où il était amarré et dépecé. Il arrivait qu’on doive, durant ces opérations, le disputer aux requins voraces. Ensuite, le lard était fondu à bord et mis en baril. L’huile obtenue était utilisée surtout comme huile d’éclairage, car le pétrole n’était pas encore découvert. Pareils aux héros du romancier Melville lancés à la poursuite de Moby Dick, les baleiniers parcouraient les plus terribles mers du globe, du cercle arctique à l’Océan Indien et au Pacifique austral. Campagnes de trente à quarante mois sans toucher terre !... On conçoit qu’à vivre aussi durement, matelots et équipages acquéraient une valeur et une expérience sans égales.